Compte rendu de la communication de Robert Bouzerar du 19 février 2024 : Relativité et structure de l’espace-temps : de la causalité géométrique à la gravitation

La notion de relativité n’est pas récente, elle date de la naissance de la physique moderne inaugurée par Galilée. Son point de départ est le constat et l’établissement d’un fait défini par des grandeurs spatiales et temporelles observables, soit ses coordonnées qui, pour être attestées, supposent la présence d’un observateur, que l’on désigne par le terme de « référentiel ». La multiplicité des observateurs ou des référentiels — la relativité des mesures — nécessite d’établir leur équivalence qui, seule, pourra légitimer l’établissement et la description de lois indépendantes de tout observateur, c’est-à-dire objectives ou inscrites dans la nature. C’est ainsi qu’il découvre la loi de la chute libre des corps et postule le principe d’inertie, rompant définitivement avec la « physique » aristotélicienne, non fausse à proprement parler, mais anthropocentrée.

Il revient à Newton, qui identifie la chute libre d’un corps sur Terre et le mouvement des planètes, de donner sa forme théorique à la nouvelle physique. Dans ce cadre, un corps pour être décrit doit être situé dans l’espace — figurable par la géométrie euclidienne — et le temps, tous deux séparés et considérés comme des absolus — des réalités en soi, mais vides — qui garantissent l’objectivité de la description. L’objet matériel, défini par sa masse (M), et ses paramètres, une longueur (L) et une durée (T), sont ainsi réellement distincts. 

Les succès de cette physique pouvaient laisser penser, à la fin du XIXe siècle, qu’elle était sur le point d’être achevée, avant qu’une expérience cruciale, celle de Michelson-Morley (1887), ne l’ébranlât. Celle-ci établit un résultat inattendu : deux rayons lumineux, envoyés, l’un dans la direction du mouvement de la Terre et l’autre dans le sens inverse, une fois de retour et mesurés, contraignent l’observateur à admettre que la vitesse de la lumière ne s’additionne ni ne soustrait au mouvement de la Terre, mais reste la même, quelle que soit sa direction,  elle  « constante ». La conclusion s’impose à Einstein (1905) : la vitesse de la lumière ne fait pas partie de l’univers physique, elle est constitutive de celui-ci et il faut la faire intervenir dans toute description de l’univers, au même titre que les autres constantes — la conservation de l’énergie et celle de l’impulsion.

Cela établi, comme la vitesse est une grandeur dérivée (L/T), on ne peut plus séparer l’espace et le temps, ce qui a des implications relativistes sur les faits observés : dans l’espace-temps, une longueur se contracte et le temps se dilate en fonction de la vitesse de l’observateur. Ces effets relativistes, qui ne sont perceptibles que si la vitesse de l’observateur se rapproche de celle de la lumière, sont désormais parfaitement expérimentés et prouvés. Comme les observateurs font partie de l’espace-temps et sont sensibles aux effets relativistes, il faut établir leur équivalence, ce que rendront possible les transformations de Lorentz (1904) reprises par Einstein. Une nouvelle géométrie, non euclidienne, conçue par Minkowski (1907) fut nécessaire pour mesurer les grandeurs de cet espace-temps (4 dimensions) dans lequel temps, espace et matière sont unifiés. La théorie de la relativité, encore restreinte, était née, avant que son fondateur, Einstein, ne la généralise (théorie de la relativité générale) à tous les corps en mouvement, incluant la gravitation. D’un certain point de vue, la nouvelle physique rompt avec celles qui l’ont précédées, mais, d’un autre, elle ne fait que prolonger et accomplir le processus de géométrisation qui caractérise dès ses débuts la physique.