conférence « Les Archives municipales et communautaires d’Amiens » :
Société et vie de société à Amiens au 19e siècle, le 22 janvier 2024
Amiens : vue de la promenade du mail et de la fontaine des Rabuissons, 1825, fonds Duthoit, MP
Dans la « ville haute » (rue Saint-Martin, boulevard du mail, Henriville), la « bonne bourgeoisie » d’Amiens compte dans ses rangs, à côté des familles nobles, souvent discrètes, une bourgeoisie du textile parfois audacieuse, souvent frileuse, le petit monde des hommes de loi (magistrats, avocats, notaires) et des médecins qui tiennent une place croissante dans la cité. Cette bourgeoisie provinciale reste attachée aux placements fonciers mais s’ouvre progressivement aux valeurs mobilières : rentes d’État 3 ou 5 %, actions et obligations de compagnies de chemin de fer ou de sociétés minières. Elle reste toujours attentive à ses intérêts, aime « à voir et à être vue » au théâtre, au Jardin des plantes ou à la Hotoie. Les hommes fréquentent les cercles, et plus encore, les sociétés savantes (Académie des Sciences et Arts et Lettres d’Amiens, Société des Antiquaires de Picardie) ou les sociétés d’agrément (la Société des Amis des Arts ou la Société d’Horticulture), ou la puissante Société industrielle d’Amiens. Toutes sont pleinement impliquées dans la vie de la cité au 19e siècle.
Dans la « ville basse » des quartiers Saint-Leu, Saint-Germain, Saint-Maurice, c’est le monde de l’atelier ou de la fabrique : terrible est le sort des 800 enfants travaillant dans les filatures, celui des femmes devant les « mule-jennys » surnommées les « grandes mécaniques à l’anglaise ». Le rapport Villermé, publié au milieu du règne de Louis-Philippe, décrit un quartier Saint-Leu véritable « mouroir à ciel ouvert » : là commencent les grandes épidémies de choléra de 1832, 1849, 1866 ; là frappent au plus fort la tuberculose et la mortalité infantile. Ces ouvriers ont leurs propres lieux de sociabilité : les cabarets, les « théâtres de cabotans ».
Amiens : vue du canal et du pont à Moinet, fonds Duthoit, MP
Mais les notables, pour éviter une explosion sociale, prennent soin de s’appuyer sur le clergé concordataire. Plusieurs veuves fortunées favorisent les congrégations religieuses féminines qui se consacrent à l’éducation des filles pauvres, d’autres à l’encadrement des « filles repenties » au Bon Pasteur. Les notables de la ville s’engagent à soutenir la ferme-école-orphelinat, créée à Allonville par le baron de Rainneville, ou le patronage Florent Caille : l’essentiel est d’apprendre un métier aux « enfants des rues » pour qu’ils restent « dans le droit chemin ».
Cette « bonne société » s’implique aussi, pour faire face à la pauvreté, dans les Sociétés de Saint-Vincent-de-Paul, ou au Bureau de bienfaisance de la ville qui vient en aide aux personnes inscrites au « registre des indigents ». Des personnalités (Jean-Charles Laurendeau, Adrien-Alexandre Cozette, Victor de Beauvillé…) font preuve de puissants gestes philanthropiques. Les femmes organisent des ventes de charité et « dansent pour les pauvres » lors des bals de charité.
Au total, deux mondes côte à côte vivant chacun dans « l’entre-soi ».