Actualité : le prix Nobel de Physique 2023

ou « comment étudier les processus physiques ultrabrefs »

par Robert Bouzerar

Cette année, le prix Nobel de Physique décerné par l’Académie royale des Sciences de Suède a récompensé les travaux remarquables de Mme Anne L’Huillier (Pr à l’Université de Lund, Suède) et MM. Pierre Agostini (Pr à l’Ohio State University, USA), Ferenc Krausz (Institut Max Planck d’optique quantique, Allemagne) portant sur les « méthodes expérimentales de génération d’impulsions lumineuses attosecondes pour l’étude de la dynamique ultra-rapide des électrons dans la matière ». Précisons qu’Anne L’Huillier est la 5e femme à obtenir un prix Nobel de physique et la 2e française après Marie Curie. Elle est née en France, a fait ses études à l’École Normale Supérieure de Fontenay-aux-Roses, est passée par le Commissariat à l’énergie atomique avant de rejoindre l’université de Lund. Cette nomination est accompagnée, comme chaque année, d’un communiqué bref mais néanmoins austère qui mérite quelques éclaircissements. Le communiqué mentionne 3 points importants : la génération d’impulsions lumineuses, leur durée ultrabrève de l’ordre de l’attoseconde et enfin leur utilisation pour sonder les mouvements rapides des électrons dans la matière.

La Physique moderne peut être décrite comme l’exploration de l’espace-temps à des échelles de plus en plus faibles : une échelle d’espace-temps comprend une échelle de longueur et une échelle de durée. La détermination de la structure et l’organisation de la matière met en œuvre de faibles échelles de longueur, les plus courtes étant associées à la recherche des particules élémentaires. Les échelles de durée sont quant à elles associées à l’étude des mouvements de ces particules ou, plus généralement, des processus fondamentaux plus ou moins rapides impliquant ces particules. Un exemple de processus rapide est fourni par le mouvement des atomes et leur réorganisation au cours d’une réaction chimique (le prix Nobel de chimie 1999 décerné à l’américain A. Zewail concernait une telle étude). La résolution temporelle de ces processus s’est considérablement affinée en quelques décennies puisque les durées explorées sont passées de 10-12 s (1 millionième de millionième de seconde : la picoseconde) dans l’étude de la rotation des molécules puis 10-15 s (1 millionième de milliardième de seconde : la femtoseconde) dans l’étude des vibrations moléculaires et enfin 10-18 s (1 milliardième de milliardième de seconde : l’attoseconde) aujourd’hui, échelle infime permettant d’observer les mouvements des électrons dans divers processus, mouvements bien plus rapides que les mouvements atomiques. Au-delà de la compréhension fondamentale du comportement des électrons dans la matière, les perspectives de ces recherches laissent entrevoir la possible manipulation de ces processus à des fins applicatives.

À cette fin, la mise en œuvre d’une telle ‘spectroscopie attoseconde’ requiert la production d’impulsions lumineuses ultrabrèves à partir d’un laser très intense, c’est-à-dire des bouffées lumineuses de très faible durée. La production de ces impulsions repose sur l’interaction du laser avec un jet atomique. Au cours de cette interaction, l’apport d’énergie du laser ionise ces atomes en leur arrachant une partie de leurs électrons qui absorbent une grande partie de l’énergie apportée par le faisceau laser. Ces électrons fortement accélérés restituent alors l’énergie emmagasinée sous forme d’un très court flash de lumière riche en rayonnement ultra-violet lointain : ces bouffées d’ultra-violets ont une durée de l’ordre de la dizaine d’attosecondes.

L’étude des processus électroniques rapides au sein de la matière, comme les changements d’états des électrons au sein d’un atome ou le transfert d’électrons entre atomes au cours d’une réaction chimique, a grandement bénéficié du développement de ces techniques de production d’impulsions ultrabrèves. Le développement parallèle des spectroscopies associées a permis de nombreux progrès fondamentaux qui suffisent à eux seuls à mesurer l’importance de ces travaux. Si la barrière de l’attoseconde est maintenant franchie, les experts évoquent déjà la production d’impulsions 1000 fois plus courtes.