Séance du 18 septembre 2023
Si la république n’est plus sérieusement menacée en France de l’extérieur, par une
restauration monarchiste ou une révolution de type démocratie populaire, elle est fragilisée de l’intérieur par des tensions qui la mettent en crise. Certaines sont anciennes, mais exacerbées, comme l’opposition entre ses interprétations sociale et formelle, d’autres sont plus récentes, comme celle qui existe entre ses deux dimensions, la démocratique (la contingence du nombre) et la plus strictement républicaine (la nécessité et la transcendance de la loi), ou encore celle qui fait se croiser l’individualisme, qui ferait le lit des revendications communautaristes, et l’unité de l’État. Des mots nouveaux sont apparus pour désigner les maux qui rongent la République : le populisme, l’« illibéralisme ».
Pour y voir un peu plus clair, je me suis proposé de me tourner vers l’une des sources
de la pensée républicaine en France, vers l’œuvre philosophique et politique de Jules Barni (1818-1878), notamment à travers son livre La Morale dans la politique. Traducteur et introducteur de l’œuvre de Kant en France, il fit passer l’idée républicaine d’une simple représentation de l’imaginaire politique, comme on peut en trouver un témoignage (contradictoire) dans deux romans, L‘Éducation sentimentale (1869) et La Fortune des Rougon (1871), au rang d’une Idée (au sens kantien du terme) ; l’Idée républicaine, rationnelle et nécessaire, s’impose aux esprits avec la rigueur et la force d’une démonstration et acquiert ainsi une réalité. Élu député de la Somme de 1872 à 1878, il s’engagea, comme il avait déjà tenté de le faire, mais en vain, en 1848 et 1849, pour participer à l’instauration et la consolidation de la république renaissante.
Je ne ferai pas une lecture suivie du livre La Morale dans la démocratie, mais
proposerai, d’une manière plus risquée, en m’écartant parfois de la lettre du texte pour enrevivifier l’esprit, de penser avec Barni et parfois contre Barni. Peut-être est-ce, je l’espère, une manière de rester fidèle à l’auteur et de lui rendre un meilleur hommage. En prenant ce risque, en faisant dialoguer Barni avec lui-même, je ne cherche qu’un seul mérite : ouvrir un débat pour affronter quelques questions qui nous taraudent encore l’esprit aujourd’hui : la famille, le féminisme, l’égalité, la dignité de la personne, l’individualisme, l’État social, etc.
En plaçant l’individu indépendant au centre de la vie sociale et politique, Jules Barni fait face à un défi : rendre compréhensible et possible une communauté de personnes indépendantes, et nous lègue une question : quel sens faut-il accorder au libéralisme ?
Bibliographie
- Les Martyrs de la libre pensée, Genève, 1862
- Napoléon et son historien monsieur Thiers, Genève, 1865
- Histoire des idées morales et politiques en France au XVIIIe siècle, Paris, Éditions Germer Baillière, 1865-67, 3 volumes
- La Morale dans la démocratie, Paris, Éditions Germer Baillière, 1868 (2 e édition 1885), rééd. éditions Kimé, 1992, avec une préface de Pierre Macherey
- Manuel républicain, Paris, Éditions Germer Baillière, 1872, rééd. CreateSpace Independent Publishing Platform, septembre 2018
- Ce que doit être la République, conférence faite à Amiens, Abbeville, Montdidier, Doullens, Péronne, publication de l’Union républicaine de la Somme, juillet-août 1871 (BM Aragon, coll. patrimoine).
- Sur Jules Barni :
- Jules Barni, sa vie et ses œuvres par Auguste Dide, Félix Alcan, 1891
- Élections à l’Assemblée nationale du 9 juin 1972, note biographique sur Jules Barni,
- publication de l’Union républicaine de la Somme, n° 6 (BM Aragon, coll. patrimoine)
- Nous avons également consulté :
- L’Idée républicaine en France par Claude Nicolet, Gallimard, 1982 ; rééd. Tel Gallimard, 1992
- Le Sacre du citoyen, une histoire du suffrage universel en France par Pierre Rosanvallon, Folio histoire, 2001
- La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme républicain par Jean-Fabien Spitz, Gallimard, 2022